Interactivités typographiques
entre le sensible et l’ordinateur
Il y a plus de 5 000 ans, l’humain a créé à plusieurs endroits dans le monde l’écriture et donc le langage écrit. Une révolution qui permet de compter, partager et stocker les connaissances.
Il y a 600 ans, dans le but de diffuser plus largement le savoir, l’humain créa en Europe l’imprimerie typographique, un système de composition de texte avec de petits caractères en plombs préfabriqués.
Le dernier système d’interaction manuscrit entre individus que fut la correspondance papier est aujourd’hui neutralisé par l’hyperconnectivité. Cette dernière est constituée de SMS, mails et réseaux sociaux. Désormais, nous vivons entourés d’innombrables diffusions d’idées multiformes, dans l’ère du numérique.
L’aspect social, humain, personnel de la forme écrite, est-il toujours là après autant de révolutions technologiques ? Nos interactions sont-elles diminuées par l’aspect typographique que nous imposent les ordinateurs ?
Nous allons voir ensemble les outils mis en place ou à inventer, qui permettent une interactivité entre l’homme et l’ordinateur afin de recréer du lien entre le sensible et l’écrit numérique.
Avant-propos
Comme tout mémoire, ce dernier est transversal de mon parcours ainsi que de mes pratiques de la typographie et de la programmation. L’appétence pour ces disciplines est née chez moi à l’École Supérieure d’Art & de Communication de Cambrai, où j’y ai trouvé un enseignement de la rigueur graphique et théorique, de l’éthique de l’open source et du statut de l’œuvre d’art numérique. Une approche plus conceptuelle et humaniste de ces problématiques abordée à l’École supérieure d’art de Lorraine de Metz, m’a permis d’ouvrir ma pratique vers d’autres registres philosophiques. Tout cela, je le retrouve chaque été aux Rencontres internationales de Lure, cette association créée en 1952, composée de passionnés de la typographie et des arts graphiques, dont je suis membre depuis 2022.
C’est dans cet état d’esprit passionné que je m’investis dans la profession. Je souhaite donc à cet écrit une portée plus grande que celle du mémoire et qu’il soit considéré comme un lieu de partage de ressources et de possibilités. C’est pourquoi sa rédaction continuera dans le temps, et nous ne traiterons dans le cadre universitaire que le premier chapitre des Sensibilités
.
La lecture de cet écrit se fera entièrement sur cette page. En scrollant, vous suivrez naturellement le fil du récit qui sera entrelacé de notes et d’interactivités. En effet, ce mémoire défend un principe pédagogique important, qui est que nous comprenons en faisant. C’est pourquoi j’ai fait en sorte que le maximum d’idées énoncées soit testables.
J’ai autant que possible mis en avant des programmes open-source, une pratique qui consiste à rendre le code source d’un logiciel accessible à tous. Cela offre à chacun la possibilité d’examiner, de modifier et de redistribuer le code du programme. Cette approche favorise la transparence, la collaboration et l’innovation, en permettant à un large éventail de développeurs et developpeuses de contribuer à la communauté dans laquelle ils et elles s’inscrivent.
Mémoire de DNSEP COMMUNICATION – Mention Arts et Langages Graphiques
École Supérieure d’Art de Lorraine, 2023-2024
1, rue de la citadelle – 57000 Metz – France
metz@esalorraine.fr – esalorraine.fr
Directeur de mémoire : Yvain Von Stebut
Directeur de recherche : Antonin Jousse
I – Lexique
Ce mémoire se voulant accessible et initiateur. Dans cette première partie, nous explorerons les piliers théoriques qui le composent, en simplifiant ensemble certains concepts techniques et philosophiques.
I.1 – Médium Ordinateur
Nous devenons ce que nous contemplons. Nous façonnons nos outils et, par la suite, nos outils nous façonnent.
Cette phrase, écrite en 1967 par le Père John Culkin
Par cette phrase, John Culkin explique la différence fondamentale du genre humain avec les autres animaux : nous avons évolué et survécu en créant des outils. Ces outils ont changé notre manière de voir le monde et d’interagir avec lui. En 2011, en référence à cette citation, Wilson Miner
La voiture est un exemple particulièrement visible de ce type de répercussions sur notre environnement. [...] Pensez à la façon dont elle modifie le monde qui l’entoure. Nous construisons des autoroutes
, des usines
, des compagnies pétrolières
.
Nous modifions tout notre environnement en nous basant sur la voiture
.
Nous changeons notre mode de vie.
Ce façonnement par l’outil
est tout aussi applicable à l’ordinateur. Extrêmement puissant et polyvalent, il se présente aujourd’hui à nous sous la forme d’un simple écran (PC, smartphone, tablette, téléviseur, hologramme, lunettes virtuelles), omniprésent dès notre réveil jusqu’à notre endormissement
.
Aujourd’hui, l’ordinateur est le prolongement de nous-même et notre mode de vie en dépend.
Pour simplifier la lecture, cet ensemble de technologies sera appelé ordinateur
tout au long de ce mémoire.
Pour comprendre l’utilisation actuelle des ordinateurs, il est nécessaire de comprendre comment ils sont arrivés dans notre quotidien et par quelles étapes. Dans Une histoire de l’ordinateur du point de vue de la théorie des média
Du point de vue des usages, il y aurait en réalité plusieurs révolutions informatiques. La première avec le traitement algorithmique des données militaires et économiques (1950-1960)
,
la deuxième avec l’ordinateur personnel et les prémices d’une interconnexion des machines (les années 1970)
[...]
,
la troisième avec le Web (début des années 1990)
,
la quatrième avec un changement de perspective où l’utilisateur est fournisseur de contenus (les années 2000, avec le développement des réseaux sociaux)
et, enfin, la cinquième avec l’Internet mobile et des objets
.
Cet extrait, complété par celui de Jean-Louis Weissberg
Plus encore que les autres dispositifs techniques, l’ordinateur n’est pas un outil mais un milieu. Il institue un nouveau milieu intellectuel, mental et social. Dès lors, dans ce nouveau milieu, l’objectif n’est pas de résoudre à moindres frais d’anciens problèmes, mais d’en engendrer de nouveaux, auxquels les équipements récents viendront offrir leur efficacité.
L’ordinateur est donc plus qu’un simple outil qui permet de répondre aux besoins humains. Il fait partie d’un ensemble qui interagit grâce à des réseaux informatiques dans un univers semi-autonome. Il a ses propres cultures et ses propres frontières qui sont elles-mêmes en perpétuelle expansion.
L’ordinateur a cette double fonction de pouvoir à la fois assister la production comme un outil (stockage, calcul, rédaction, montage, graphisme génératif, etc.) ainsi que d’être le système qui permet de représenter et d’afficher le contenu produit par ce dernier. Certains de ces contenus ne pourraient d’ailleurs pas exister en dehors de cette technologie, comme les simulations et notamment la réalité virtuelle
.
Pour citer à nouveau Frédérique Vargoz et Emmanuel Guez :
Ces nouveaux usages informeraient en retour l’outil qui les a rendus possibles.
Plus qu’un médium, l’ordinateur peut être qualifié de super-medium, puisqu’il regroupe un très grand nombre de médias : la publicité, la presse écrite, la radio, la photographie, la télévision, le cinéma, la musique, les jeux vidéo, les messages d’alerte, etc. Il offre également des systèmes de communication plus horizontaux grâce aux contacts entre individus ou groupes d’individus à travers le monde, via les médias sociaux qui favorisent une intelligence collective
.
L’ordinateur est également un médium plus puissant et plus largement déployé que tous les autres moyens de communication. Selon l’Union internationale des télécommunications, en 2022, 8,59 milliards de forfaits de smartphones sont actifs dans le monde, soit plus d’un par humain
En effet, cette ultra-connexion engendre de nombreux problèmes, comme la pollution atmosphérique, avec 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre attribuées au numérique.
Un problème tout aussi important est la surveillance totale et banalisée, avec les GAFAM pour l’Europe et l’Amérique, ou les BATX en Asie. Ces entreprises détiennent quasiment le monopole du marché numérique (équipements et données). Il en va de même pour certains États, comme les États-Unis d’Amérique (affaire Snowden)sécurité
.
Il y a également le problème des cookies tiers
Un autre danger mis en avant par Ignacio Ramonetvillage planétaire
Les médias, en diffusant des informations, ont finalement, à leur corps défendant, augmenté l’ignorance dans laquelle nous sommes du monde réel, car l’ignorance n’a pas de meilleure alliée que l’illusion du savoir.
Nous vivons également dans un monde capitaliste où règne le principe de l’économie de l’attention
, théorisé par Yves Citton dans son livre éponymetemps morts
du quotidien, ce qui contribue à une dépendance et un isolement social.
En dernier exemple, je noterais notre dépendance au smartphone, à l’ordinateur tactile portable, d’un point de vue technique et social. Nous en avons besoin pour la double authentification bancaire, pour des services avec QR-code, pour le GPS, etc. Le meilleur moyen de s’en rendre compte, c’est de voir le maigre bagage des migrants, avec comme objet essentiel le smartphone
. D’après l’UNESCO, jusqu’à un tiers de leurs dépenses passe dans le forfait mobile
Il existe cependant des instances comme la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés)
À présent que ces faits sur l’ordinateur sont conscientisés, il est important de façonner des outils, des systèmes, des interfaces qui aillent dans l’intérêt d’une amélioration humaine et non vers un affaiblissement, tout en prenant en considération la chaîne d’acteurs techniques qui composent ces innovations.
Pour plus d’informations sur la face sombre du numérique, je vous invite à lire la première partie NUMÉRISATION DU MONDE
I.2 – Médium Typographie
Le médium, c’est le message
Cette citation importante de la deuxième moitié du XXe siècle est de Marshall McLuhan, dans son livre Understanding Media : The extensions of man
Dans cet ouvrage, l’auteur nous fait part d’une théorie aujourd’hui validée et reprise maintes fois, selon laquelle le médium (le support de l’information) qui véhicule le message est en fait un message lui-même, voire le message
. Une information est abordée différemment en fonction de la manière dont elle nous est présentée. L’enseigne publicitaire n’a pas le même pouvoir que la télévision, le journal papier n’a pas la même véracité que le réseau social.
Ce principe du médium, nous l’avons introduit dans le chapitre précédent, tout en le completant par le fait que l’ordinateur a un double statut qui est de produire et de représenter. D’une manière différente, la typographie a aussi un double statut, celui du fond et celui de la forme.
Sans refaire l’histoire de l’imprimerie, va venir une première fois dans l’histoire fixer la graphie. En Allemagne en 1440, Johannes Gutenberg invente un procédé pour couler des centaines de caractères en plomb et les imprimer, il pose les bases de la typographie
.
L’apparence du texte va alors évoluer vers de nouveaux canons représentant de nouveaux mouvements de pensées
,
pour répondre à des problématiques techniques d’impression
,
ou encore, vers des questions de lisibilité et de netteté
.
Avec l’arrivée des ordinateurs, de nouveaux types de réalisations typographiques sont apparus, notamment grâce à la typographie variable.
Ainsi, nous pouvons effectuer des interpolations fluides entre différents axes.
Le terme typographie
est quelque peu complexe, car il regroupe un ensemble d’éléments qui contribuent à la présentation visuelle du texte. Pour en citer quelques-uns : la police de caractères ou font en anglais, la taille de la police, l’espacement entre les lettres et les mots, la justification, l’interligne, etc.
Pour simplifier la lecture, c’est cet ensemble de connaissances qui sera appelé typographie
tout au long de ce mémoire, sauf indication technique.
Avant le lu, le vue.
Pour revenir au double-sens
précédemment évoqué, je cite cette formule bien connue des membres des Rencontres de Lure.
Cette technique est notamment très utilisée dans la publicité, comme l’explique Sarah Hyndman
.
Une typographie peut aussi évoquer un rang social
, comme l’explique cette étude du Senseable City Laboratory du Massachusetts Institute of Technology
Ces associations semblent assez évidentes. Comme tout art visuel, la typographie a évolué avec le temps. Certaines formes sont représentatives de principes, de politiques, de différentes cultures à différentes époques. Dans son livre Du pouvoir de l’écriture
Les écritures linéales, construites, débarrassées de tout relent particuliariste, reflétaient assez bien ces idéologies, dans lesquelles une grande partie de l’humanité voulait se reconnaître : une culture prolétarienne internationaliste
et progressiste
, opposée à une culture bourgeoise nationaliste
et conservatrice
. Curieusement, la dure affirmation d’ordre et de rigueur qui se dégage des linéales impersonnelles les a fait vite adopter pour les œuvre de propagande politique, aussi bien dans la Russie soviétique que dans l’Italie fasciste.
Le pouvoir industriel et financier qui se dissimule derrière cette neutralité n’est pas innocent, car ces écritures, débarrasées de toute spécificité culturelle et qui circulent sans entrave à travers le monde, sont destinées à former une pensée unique mondialiste, aseptisée, suscitant des désirs et proposant des symboles de bonheur communs à tous les consommateurs potentiels de la Terre.
Une langue parlée et écrite se voulant universelle
appauvrit la pensée en se simplifiant, fait abandonner les concepts et les mythes des peuples, déracine et peut mener à la mort d’une culture
Cette idée que la forme des lettres peut être neutre et dénuée d’idéologies est également remise en question plus récemment par Vivien Philizot
Le neutre naît d’un rejet. La rationalisation progressive est autant l’objet d’une recherche délibérée que le produit d’un contexte de création typographique qui se radicalise au début du XXe siècle, et qui ne peut s’appréhender à partir de cette époque sans prendre en compte toute la tradition représentée par les productions du siècle précédent auxquelles il s’oppose et contre lesquelles il se construit. Ces deux points convergents, à savoir l’abandon progressif des propriétés cursives de la lettre et le mécanisme de réaction des avant-gardes envers la tradition de la belle forme. [...]
Le neutre – étymologiquement « ni l’un, ni l’autre » – est une abstention, un non-engagement plus qu’un désengagement. [...] Cette acception semble ainsi se traduire dans le domaine esthétique par une impossible absence de style, un non choix hypothétique produit contre l’ensemble des possibles stylistiques. La neutralité d’un caractère semble se mesurer par l’écart différentiel entre sa forme propre et une matrice idéale trouvant sa définition même dans l’impossibilité qu’il y a à l’atteindre. L’Helvetica ne procède pas du troisième terme décrit par Barthes (la neutralité), mais bien au contraire d’une neutralité feinte qui trahit encore un choix stylistique.
Toute représentation de la lettre a donc un sens, et nous allons explorer des formes et des systèmes typographiques interactifs qui mettent en avant ce qui concerne le sensible.
Pour approfondir l’histoire de l’écriture, je vous recommande le reportage L’odyssée de l’écriture
I.3 – Interactivité
À l’ère du numérique, la compétence se confond avec la maîtrise des outils numériques, masquant l’importance de la compréhension des matériaux et de la maîtrise des éléments de la forme.
Cette phrase a été prononcée par l’un des piliers de la notion d’interactivité en informatique dans les arts graphiques, John Maeda
John Maeda pose les bases de sa discipline en publiant, de 1994 à 1999, cinq Reactive Book.
Quand John Maeda nous parle de l’importance de la compréhension des matériaux
, il nous rappelle à quel point l’ordinateur est un outil complexe qu’il faut, en tant que développeur, s’efforcer de comprendre les tenants pour mettre en forme le contenu de manière maîtrisée et cohérente.
Cette question de la maîtrise et de la responsabilité du développeur est également un sujet important du travail de théorisation de Jean-Louis Weissberg :
L’interactivité doit donc être considérée comme une propriété du système technique informatique localisée dans la structure intime du programme informatique et non, de manière trop vague, dans le rapport homme-machine.
Il faut en effet comprendre que la définition d’interactivité est souvent discutée. Jean-Louis Weissberg, et je le rejoins là-dessus, parle d’interactivité numérique active et conçue par le développeur
. À ne pas confondre avec un effet unilatéral de l’œuvre sur le spectateur qui serait par exemple, une illusion d’optique fixe ou en mouvement en motion design où le spectateur n’aurait pas de rôle à jouer dans la modification du contenu
.
Pour une simplification de la lecture, c’est cette interactivité active qui sera appelée interactivité
tout au long de ce mémoire.
Antonin Jousse
Weissberg insiste sur cette association entre interactivité et informatique pour des raisons historiques. Il rappelle dans sa définition que le terme interactivité
n’est pas né avec l’informatique dans les années 1940 mais bien plus tardivement à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Cette apparition est liée à deux événements importants dans le développement de l’informatique et dans l’évolution de la relation homme-machine : le projet ARPANET qui permet de commencer à travailler avec des non-informaticiens. Dès ces projets, l’interactivité se voit attribuer ses deux principales caractéristiques : langagière et corporelle. Cette terminologie semble donc définitivement reliée à la notion d’informatique et à celle de communication entre un dispositif informatique et un utilisateur.
Les caractéristiques essentielles langagières et corporelles
du texte frappé, sont aussi convoquées dans le livre Gestes d’humanités
Les gestes sont ce qui nous relie à nos semblables, ce qui tisse notre être au sein de notre environnement. Si j’en crois ma sensibilité musicale (peut-être idiosyncratique), percevoir un geste comme humain
est une question d’échelle : son humanité émane de la façon dont il impulse un rythme et poursuit un fil au sein d’une succession de gestes enchaînés.
Mais alors, comment aujourd’hui dans une société numérique, régie par un consortium de quelques entreprises, peut-on encore percevoir le rythme
impulsé par chacun ? Comment sentir sa personnalité, ses gestes qui le définissent ? Yves Citton dans son livre Médiarchie
Nous pouvons donc nous poser la question, comment différencier les internautes entre eux dans leurs messages ? En d’autres termes, comment différencier les internautes entre eux dans leurs présences de vie numérique ? Il y a certes la possibilité d’avoir un profil, avec une photo et un pseudo, mais comment dans l’aspect visuel du message, du contenu, peut-on percevoir que c’est cet individu plutôt qu’un autre qui a commenté sur les réseaux ?
Toujours dans Gestes d’humanités, Yves Citton ouvre une piste intéressante quelques pages plus loin :
Au fur et à mesure que les instances de programmation se mondialisent, avec les risques de standardisation et de centralisation qu’impliquent les nouvelles formes de transparence permises par nos nouvelles machines, protéger des réserves d’implicite devient une condition de survie de la diversité culturelle.
Quand Yves Citton nous parle ici d’implicite, il nous en parle comme d’une réserve, comme d’un retrait du numérique. Mais dans notre problématique qui est de montrer l’individu qui interagit avec le contenu à travers l’ordinateur, comment donner la possibilité à l’implicite d’exister ?
Pour cela, nous pouvons invoquer un champ de la littérature qui se pose déjà la question : la traduction. Eduardo Viveiros de Castro
Traduire, c’est s’installer dans l’espace de l’équivoque et l’habiter. Non pas pour le défaire, car cela supposerait qu’il n’a jamais existé, mais bien au contraire pour le mettre en valeur, le potentialiser.
Afin de conserver l’implicite, l’équivoque, il faut comprendre où il s’installe. Il en va donc du développeur, en s’associant avec d’autres métiers comme l’anthropologue ou le designeur, de comprendre comment trouver et représenter l’implicite pour sentir les gestes humains des et entre les utilisateurs.
Cet implicite numérique me semble d’autant plus important à défendre, puisqu’aujourd’hui, nous avons accès à de nombreux outils automatisés de création de contenus textuels, vidéos, sonores avec l’intelligence artificielle
J’irais même plus loin dans la posture à adopter, puisque que je l’assume personnellement : le programmateur doit être l’artiste, sensible et conscient, comme John Maeda. Il est important de souligner que l’outil influence bien souvent la forme, et dans le domaine du design graphique, on observe toujours une prédominance de l’entreprise Adobe
La question se pose donc, que faut-il traduire ? Antonin Jousse, dans son chapitre La sensorialité des machines
Des sources d’informations externes au dispositif mais présentes dans le même espace physique, des sources externes au dispositif et présentes dans un espace virtuel ou dans un espace physique différent, et enfin les sources internes au dispositif.
Dans ce mémoire, nous nous concentrerons essentiellement sur le premier type de données que sont les informations directement accessibles par les périphériques/capteurs de l’ordinateur.
Le contenu ou sa forme peuvent donc être créés ou modifiés dans une relation directe avec les spectateurs/utilisateurs, comme ici dans l’œuvre Open Source
de Thierry Fournier
Le contenu ou sa forme peuvent aussi être transformés par toutes autres informations venant de l’environnement du spectateurs-utilisateurs comme dans Potential Flag
de Samuel Bianchini
L’interactivité humain-ordinateur se fait donc par le biais d’une captation active et réfléchie du sensible grâce à des périphériques, ensuite mis en forme par l’artiste-développeur. Il importe donc au designeur graphique de concevoir des réponses cohérentes pour rendre le numérique plus humain.
Pour plus d’informations sur l’importance pour le designeur graphique d’être aussi développeur, je vous invite à lire le n°28 de Graphisme en France, Création, outils, recherche
II – Sensibilités
À présent que les bases sont posées, c’est dans cette seconde partie que nous allons répondre aux problématique de l’introduction, en explorant ensemble les interactivités typographiques entre le sensible et l’ordinateur. Le terme sensible
étant tout ce qui touche au sens et au ressenti humain, nous aborderons des thèmes tels que la vue ou le toucher, mais aussi les émotions ou le temps.
La plupart de ces expériences graphiques seront testables, et si c’est impossible, il vous sera proposé une vidéo. Ce catalogue commenté aura pour but de montrer des réalisations diverses dans chacun des chapitres, afin de couvrir les champs des possibles par périphériques et entrées captable par l’ordinateur. Un classement pensé pour les programmeurs et programmeuses en mettant en avant une navigation technique.
Nous confondrons lecture et écriture en un seul même acte autour de l’écrit auquel il convient au designer-programeur d’adapter l’interactivité vers l’un ou l’autre des procédés.
II.1 – L’écriture numérique affaire de geste
Il y a des moments où un mot fait plus qu’un geste.
Clavier
L’écriture numérique, telle qu’on la connaît aujourd’hui, se fait principalement par le biais d’un clavier. Un clavier physique, comme sur les PC, ou numérique, comme sur les smartphones. Le système de clavier à était créé en 1868 par un imprimeur américain, Christopher Latham Sholes, et équipera les machines à écrire produites par Remington en 1873
.
Naturellement, les premiers systèmes informatiques avec clavier créés en 1960 ont été équipés avec les normes QWERTY et AZERTY déjà mis en place, afin de ne pas brusquer les habitudes des consommateurs, bien que aucune tige mécanique ne vienne ici nécessiter la séparation des lettres. À l’époque, l’interaction se résume à la fatigue musculaire.
Ce qui nous permet aujourd’hui la communication de textes entre ordinateurs, c’est l’Unicode
Comme nous l’avons vu dans le lexique sur l’interactivité, John Maeda, fondateur de sa discipline, a publié 5 Reactive Book, dont Tap, type, write en 1998, que je vous laisse découvrir.
L’École Supérieure d’Art & de Communication de Cambrai a travaillé sur les Reactive Book quand j’y étais encore étudiant dans le cadre de l’ARC RASlivre
:
L’auteur a travaillé sur le lien étroit entre le clavier et la lettre qui s’en échappe. C’est un hommage à la machine à écrire dans lequel il valorise chaque caractère de l’alphabet en fonction de la touche enfoncée. À l’écran, l’utilisateur peut réarranger la disposition d’un clavier QWERTY, jouer sur un certain équilibre typographique.
En effet, John Maeda nous montre des interactivités qui correspondent au temps pour lequel une touche reste appuyée, changeant la taille, la rotation ou la position de la lettre. Cette interactivité avec le temps de pression est augmentée par deux choses que sont un important changement visuel à la première frappe, suivi par un changement exponentiel.
Ici nous sommes face aux toutes premières interactivités graphiques avec un clavier. Le registre sonore métallique et les lettres qui sautent et sortent de leur emplacement géométrique, donnent évidemment l’expérience d’une machine à écrire augmentée.
J'apprécie particulièrement à 7:40, ce miroir visuel du clavier où l'emplacement de la touche frappée sur le clavier plutôt à droite ou plutôt à gauche, modifie son poids et donc l'orientation du clavier. Nous avons là une interactivité plus poussée que les autres avec un rapport humain-périphérique-résultat qui conserve l'action passée.
Aujourd'hui obsolète, le projet reste consultable au Museum of Modern Art (MoMA) de New York sur une série d’anciens Power Macintosh, seul environnement capable de lire le programme. Il existe cependant une version repensée de ces œuvres créée par les étudiants de l'ÉSAC, dont voici un extrait.
Je trouve particulièrement intéressantes les deux premières interactivités, pour quelque chose que la troisième ne contient pas : le lien entre le temps appuyé sur une touche et le changement visuel. En effet, la lettre continue de grandir mais dans une action de tremblement ou de rotation de plus en plus rapide. La deuxième expérience a en plus cet atout de conserver le temps appuyé sur chaque touche, rappuyer sur l'une d'elles conserve la vélocité déjà atteinte.
Ces interactivités restent cependant limitées dans une représentation de l'alphabet latin qui ne correspond pas à une activité d'écriture. On ressent l'humain derrière l'action mais il n'inscrit pas toujours un message, puisque parfois le résultat se réinitialise.
D'autres artistes-développeurs se sont ensuite emparés de cette mise en valeur, qui tombe sous le sens, du rythme de frappe. Avec par exemple le programme P_3_1_1_01 du catalogue Generative Gestaltung
J'ai moi même réutilsé ce code, que j'ai modifié, pour créer un logiciel de traitement de texte poétique aux diverses typographies
Il y a aussi le programme presque instrument de musique Typatone. Ici chaque lettre a une note assimilée et les espaces sont des silences, aussi nous pouvons réentendre notre texte une fois terminé.
D'après moi, pour que ce programme soit plus intéressant, il aurait dû enregistrer la vitesse de frappe originale, car lorsque l'on rejoue le texte le rythme devient fixe et ne correspond plus à l'action humaine originale.
Le sketch suivant profite du fait que le texte frappé sur le clavier se fait touche par touche pour nous proposer une nébuleuse de lettres à la position et à la taille aléatoire, mais sinon rien de plus.
Sans passer par une interface particulière, certaines typographies possèdent des programmes internes, qui lors de la frappe changent la mise en forme des lettres.
Le dessinateur Nikola Djurek,
Plotter Wave
,
Francis Gradient
et
Mississippi
.
Mais là nous nous éloignons déjà de l'interactivité avec le périphérique clavier, car en effet n'importe quel texte écrit d'une autre manière comme dictée ou copier/coller prendrait la même forme.
Bien qu'étant la principale manière d'intégrer du texte, le clavier reste cependant pauvre en entrées autres que la vitesse de frappe ou la position de la touche dans l'espace physique. Cela pourrait cependant changer avec un capteur de pression de touche, une technologie encore peu répandue. Nous pourrions alors capter la force de frappe et la rendre dans le texte, comme le propose le concept de la Pressure
, une typographie dessinée par Felix Summ
Souris & Pavé Tactile
La souris est un dispositif de pointage et de sélection dans le prolongement de la main qui permet de se déplacer sur l'axe X (horizontal) et Y (vertical) d'un écran. Elle a été inventée dans les années 60 par Douglas Engelbart du Stanford Research Institute
Le pavé tactile a globalement les mêmes fonctions, il a été inventé par George E. Gerpheide, un docteur en informatique américain, en 1988
Souris & Pavé Tactile sont des périphériques très utilisés et aux nombreuses fonctions comme nous allons le voir. Je me concentrerai donc volontairement sur les fonctions de pointage et de sélection et je parlerai du scroll ainsi que du traçage dans les parties suivantes dédiées.
À l'image de la partie précédente, John Maeda a créé en 1995 The Flying Letters comportant 10 interactivités possibles pour la souris, elle aussi centrée sur le texte.
Voici le commentaire de l'ARC RAS de l'ÉSAL :
L’utilisateur peut jouer avec le curseur de la souris pour manipuler le corps d’un texte. John Maeda prend en compte la position du pointeur (suivi, survol, collision, orientation, vitesse, proximité, le clic). Chaque mot est incarné par l'interactivité, comme un haïku visuel, il renforce le caractère poétique de l’œuvre.
En effet, nous avons un aspect poétique bien plus important car la souris permet des interactivités plus flottantes
et nombreuses à l'inverse du clavier plus rigide. Ici l'utilisateur est actif dans la manipulation du texte, là où le clavier écrit, la souris vient comme un doigt dans du sable, toucher la matière et activer des mots en modifiant leur disposition ou en les révélant. La forme du texte est en lien avec le mouvement du corps.
Je trouve ces expériences particulièrement intéressantes car elles mettent en place une certaine vélocité. L'utilisateur peut exprimer une force plus ou moins contrôlée qui va permettre au texte d'être proportionnellement lisible. John Maeda a eu l'intelligence de renforcer ce sentiment par des programmes contre lesquels il faut presque lutter car ils vont inexorablement plus vite que l'humain.
Comme pour la partie précédente, basée sur The Flying Letters, voici différentes réinterprétations interactives des étudiants de Cambrai :
La souris étant l'un des périphériques les plus utilisés grâce à ses nombreuses caractéristiques, on retrouve de nombreux développeurs qui s'en emparent pour de multiples utilisations. L'une d'entre elles est l'interactivité au survol qui permet de signifier un élément cliquable. Le plus souvent, l'élément change de couleur et notre curseur devient une main avec un doigt pointé.
L'hyperlien ou URL en anglais, composé de texte, est un parfait exemple. Par défaut, le World Wide Web Consortium
Dans ce dernier exemple, l'auteur utilise une typographie variable pour permettre une animation lisse presque hypnotisante. Cependant cela crée un décalage du contenu autour du lien. Pour pallier à cela nous pouvons utiliser une typographie dite multiplexed, c'est-à-dire que peu importe la graisse utilisée, la lettre prend toujours la même chasse (le même espace horizontal)
Les précédentes personnalisations des liens sont assez simples graphiquement, mais nous pouvons aller beaucoup plus loin dans leurs personnalisations. Manoela Ilic
Ce survol qui active, comme un doigt appuierait sur un bouton dans la vraie vie, peut aussi se retrouver directement au sein du dessin typographique. C'est le cas de ce specimen, dont le site et la typographie ont été réalisés par Felix Summ lors des workshops Axes of VariationWeb Type
. Une école qui fut notamment dirigée dans les années 2010 par John Maeda.
Bien que ces appels au clic soient très intéressants visuellement, il ne faut pas oublier que nous parlons d'interactivité et non d'animation. Le web est en effet rempli de réponses graphiques lancées par l'action du survol, ce qui se passe ensuite n'est pas toujours en lien avec le fait d'être au-dessus de l'élément. La mise en valeur du survol pourrait donc se faire encore plus avec une interactivité basée sur le temps resté au-dessus d'un élément :
C'est aussi le cas pour le specimen numérique du Ginto, une variable dessinée par Seb McLauchlan
Dans cette interactivité, Daniel Wenzel nous propose de faire fondre les lettres comme des bougies, cela lui permet de mettre en avant l'aspect variable de sa typographie et l'importante nuance entre la plus épaisse des graisses et la plus fine dite hairline
uniforme et dévêtue.
Parmi les autres outils, le développeur a également créé un système d'halo qui capture la distance entre le curseur et les lettres autour pour proportionnellement les faire s'amincir. Ici les lettres réagissent à notre présence et l'espace de l'écran devient un enclos de mouton où nous serions l'étranger à l'intérieur. Cette approche du survol permet donc également d'agir sur l'apparence d'un long texte et pas seulement sur un élément isolé.
Talia Cotton
Ces nombreuses interactivités font passer notre curseur de doigt magique
à boîte à outils magique
. Nous contrôlons à présent un disperseur de lettres, un renverseur de lettres sur l'étagère, un caviardeur, une machine à vagues, un monstre sous le tapis, une lampe torche de policier où les lettres se mettent de profil, une lampe torche de curieux sous la couette et un étendeur de mots.
J'ai un particulier plaisir à utiliser cette lampe dans le noir. Elle rajoute une vraie expérience de lecture interactive qui, peut-être une fois retirée de ses couleurs, peut servir à de nombreuses experiences de lecture en soutenant le propos d'un texte qui correspondrait.
Nous pouvons remarquer deux intrus
sur cette page d'accueil. L'interactivité du caviardage et celle de l'étendeur, en effet elles agissent toutes les deux directement sur le fond du texte et son sens, ce n'est pas un simple réagencement des mots. Il est en effet assez rare de considérer la souris comme un outil d'écriture de texte typographié.
Le studio suisse de design et de programmation ertdfgcvb propose également sur son site une interactivité avec un halo autour de la souris qui vient temporairement modifier le contenu et le confondre avec l'animation en fond en utilisant les codes graphiques de l'ASCII Art
Katie Bumatay
D'une toute autre manière, la souris au survol permet de modifier la position des mots et de les réarranger. Dans le cadre de l'activité de son studio, Talia Cotton a réalisé le site web de l'entreprise Yellow Technologies qui permet de jouer de manière contrôlée sur la perspective des mots.
L'approche est particulièrement intéressante pour ce site web puisqu'il ne comporte aucunes autres informations que ce grand texte et un email. Le studio de design graphique a ici souhaité, par une simple interactivité, rendre testables les termes caractéristiques de l'entreprise que sont outil
et créativité
.
L'interactivité avec la position des mots peut aussi se faire de manière beaucoup moins contrôlée. Tiger Dingsun
Une plateforme d'édition pour réimaginer les relations établies entre le lecteur, le texte et l'auteur, et pour utiliser pleinement les possibilités du web dans la présentation des textes.
Les contributeurs sont invités à soumettre des textes susceptibles de se prêter à des lectures non linéaires, qui sont ensuite réinterprétées dans leurs propres sites web.
Ici, nous pouvons lire le poème numéro 7 où les mots deviennent vivants et autonomes une fois survolés.
Nous parlons depuis le début d'effets sur le texte, mais le survol peut aussi avoir pour but de mettre en avant plus de contenu, notamment dans le cadre de lourds corpus de texte. C'est le cas de ce projet de Katie Bumatay sur des textes patriotiques des États-Unis, où un jeu de couleurs, d'images et de typographies augmente et influence la perception de chaque mot qui compose le texte.
Ce système marche particulièrement bien graphiquement pour plusieurs raisons. Le texte sélectionné est mis en valeur car les autres autour sont floutés. Le mot en plus gros qui apparaît dans une autre typographie s'ajoute à celui sélectionné sans le gêner, et avec l'image, ils viennent tous deux donner de l'importance ainsi que de la profondeur sans nous faire perdre le fil de la lecture.
Comme nous avons pu le voir précédemment avec le spécimen du Ginto, il est aussi possible d'utiliser le curseur non pas pour survoler mais pour éloigner. Sur du texte, cela permet de recréer des mouvements de masses ou de fluides, comme ici avec cette interactivité où le texte se comporte tantôt comme de l'eau impactée par une bombe et tantôt comme fuyant un prédateur tel une nuée d'oiseaux.
Il est également possible de faire fuir la lettre dans le texte, comme avec ces exemples du studio allemand Schultzschultz
Dans le premier exemple, nous retrouvons cet effet de monstre sous le tapis de Tallia Cotton, cette fois-ci à la place du texte, c'est la lettre elle-même qui se fait repousser vers le haut comme si nous venions gonfler par le bas le texte. Le survol est bien mis en avant puisque plus l'on reste sous la lettre plus elle s'éloigne. Par moments elle s'éloigne tellement qu'elle en perd sa forme et sa lisibilité. Une fois le curseur déplacé le tout reprend place dans un mouvement de rebonds proportionnel au gonflage.
Pour les deux derniers exemples, c'est dans un premier temps la lettre qui s'étire pour s'éloigner le plus possible du curseur sur l'axe de la largeur ou de la hauteur, puis la lettre se déplace à l'opposé de l'écran. Ce travail est magnifiquement maîtrisé pour de nombreuses raisons, je ne pense pas qu'une typographie variable soit utilisée et cela ressemble plus à de l'étirement de pixel, pourtant cela ne déforme pas la lettre aux mauvais endroits
, elle reste parfaitement lisible et dessinée. Cela permet donc d'importer n'importe quelle typographie et le travail restera lisible. Le déplacement des lettres font également toute la ligne ce qui permet de garder un écart de lecture pour le reste du texte.
Le tout semble encore plus agité que d'autres exemples, il s'installe ici une vraie peur du curseur, une fuite toujours maximale et calculée qui se fait par mouvement foudroyant.
Une autre approche pour faire fuir la lettre est de la scinder en de nombreuses particules. C'est le cas de la page d'accueil du studio spacetype
Notre curseur vient ici à une échelle très petite repousser tous les éléments autour de lui, ce qui donne cette impression de sable ou de jeu avec des bulles. On remarquera que sur le site de S&P, les particules bougées ne reviennent pas à leur état initial, ce qui permet d'altérer graphiquement le texte soit pour le déranger, soit pour le rendre complètement illisible.
Le texte déjà écrit peut également suivre la souris avec plus ou moins de rigueur.
Toogle viewen haut à droite
Dans ces programmes, je trouve particulièrement intéressants les effets gravitationnels dirigés par la souris qui à la fois attirent et repoussent les lettres. Il s'installe ainsi une réciprocité entre le programme et l'utilisateur. Dans le second exemple du studio ertdfgcvb, créateur de la librairie ASCII play
La structure de la lettre peut également suivre en elle-même la souris.
Dans le premier programme de Codrops, ce sont les particules qui composent la lettre qui suivent de manière évidente le curseur, l'utilisation des yeux est elle optionnelle. Dans le deuxième programme du studio Schultzschultz c'est cette fois-ci la structure de la lettre, sa jonction centrale dans le cas du 'X', mais qui pourrait également marcher avec un 'K' ou un 'P', qui s'étire vers le curseur. Cela fonctionne mieux pour le second cas puisqu'il y a un lien avec une réelle modification de la lisibilité et de l'anatomie de la lettre.
Le texte peut donc suivre la souris, mais la souris peut aussi écrire en même temps, ou du moins placer le texte.
Ce programme est un parfait exemple d'interactivité réussie, il répond à sa fonction première qui est de placer le texte là où le curseur se déplace. Il ne place pas le texte si le curseur ne bouge pas, ce qui évite un rendu illisible. Pour finir, il prend en compte la vitesse de déplacement de la souris pour proposer un texte plus gros si l'utilisateur met plus d'engouement dans le mouvement, un rendu qui pourrait renvoyer à un coup de pinceau plus ample.
Nous pouvons également faire réagir les lettres entre elles au moment du placement avec la souris.
Toogle viewen haut à droite
Le premier exemple considérant la surface de l'écran comme de l'eau en tension. Les lettres se repoussent entre elles à partir de l'endroit où elles sont relâchées pour ne pas se superposer. Une poésie sensible se dégage de ce placement non linéaire où le texte devient un nuage de lettres. Cela fonctionne encore mieux lorsque c'est un mot reconnaissable de peu de lettres qui se répète et donc les mêmes lettres dispersées.
Dans les deux autres exemples, le placement du texte se fait à présent en considérant l'écran non plus comme une surface 2D vue à plat mais comme une vue à la verticale. Les lettres tombent et s'empilent. Le programme du studio ertdfgcvb est très agréable à utiliser. Le texte devient la matière qui se disperse comme du sable et notre curseur peut en ajouter et même en supprimer en repassant au-dessus des lettres déjà disposées.
Dans les deux exemples l'emplacement du texte diverge de celui de la souris, puisque la lettre a sa propre physique. Cela implique l'enjeu de la gravité et que la lettre puisse tomber ou flotter. Un sujet dont je parlerais plus en détails dans le chapitre 6 L’écriture numérique affaire d’environnement
.
Si l'on a considéré la souris comme un doigt magique, on peut aussi la considérer comme une main magique qui prend et qui relâche au clic, en anglais drag and drop. C'est une des interactivités les plus utilisées par les graphistes pour composer des logos sur les logiciels d'éditions
Dans le cas du specimen du Bebon, dont le code et le dessin typographique ont été réalisés par Valia Liu
Talia Cotton propose également une interactivité où le curseur devient une main, ici pour étirer la lettre. Cette dernière ayant une certaine matérialité, elle reprend ensuite sa place dans un rebond proportionnel à la distance sur laquelle l'utilisateur a tiré.
Nous avons aussi la faculté de venir tirer sur les courbes qui composent la lettre avec ce programme de Beth Fileti
Dans une action succincte de sélection puis de drag and drop, nous pouvons à la souris étirer des lettres. Ce programme de Schultzschultz fonctionne avec des pixels et ne sélectionne malheureusement pas que la lettre mais l'espace noir autour aussi, ce qui fait des superpositions maladroites. Cela ouvre cependant des possibilités plus larges, puisque nous avons accès à un pinceau.
Le curseur de la souris se déplaçant sur l'axe horizontal et vertical de l'écran
, nous pouvons utiliser ces deux axes comme des curseurs d'interface
, que l'on peut notamment retrouver lors des réglages de volumes sonores sur notre ordinateur.
Ce programme de Generative Design nous montre comment l'on pourrait s'en servir sur un long texte, avec un système d'interrupteur on/off sur l'axe horizontal. La transition correspondant à notre déplacement permet à l'utilisateur de faire un lien visuel entre tous les mots triés et leurs emplacements d'origine.
Il est aussi possible d'agir sur une typographie, en faisant correspondre les axes de l'écran à ceux d'une typographie variable. Le specimen de la Scope, une typographie conçue par Jonas Pelzer
C'est aussi le cas du spécimen numérique de la Spectral, première typographie multi-axiale de Google Font
Je trouve qu'il y a un plaisir certain à venir modifier l'apparence d'un texte soit dans sa disposition soit dans sa typographie sans utiliser un seul clic. Je ne pense pas que ce soit ça le futur, mais cette sensation de ne rien avoir à sélectionner et que des grands gestes dans le vide permettent des modifications précises est assez attrayante. Le clic restera cependant nécessaire pour plusieurs raisons, puisque si chaque mouvement modifie la disposition du texte et son apparence, il deviendrait vite impossible de sélectionner un élément précis dans le texte puisqu'il bougerait en même temps.
Nous rentrerons plus en détails sur l'espace de l'écran, dans le chapitre 2 L’écriture numérique affaire d’espace visuel
.
Pour finir cette partie sur la souris, étant assez lourd, voici le site de lancement du studio Cotton Design sur lequel est proposée diverse interactivités qui reprennent certaines déjà abordées et avancent d'autres points de chapitres futurs.
Scroll
Le scrolling, ou défilement en français, est une action qui a envahi notre quotidien sous plusieurs formes. À la molette sur souris et à deux doigts sur pavé tactile, mais surtout au pouce ou à l'index sur l'écran de tous nos ordinateurs tactiles, il est la première manière de consommer du contenu sur les réseaux sociaux.
Le premier exemple de scrolling remonte aux années 1960 avec le système informatique TX-2 du MIT
On peut différencier deux types de défilement, vertical et horizontal. Le vertical renvoie au défilement d'un papyrus, il est le plus connu pour lire du texte car il permet des lignes qui prennent une certaine largeur dans l'écran sans fatiguer l'œil. L'horizontal sera plus fréquemment utilisé pour des galeries d'images sur ordinateur avec grand écran, comme sur les plateformes de streaming. Pour les petits écrans on préférera l'affichage d'image dans la verticalité pour le flux et horizontal pour le précis, comme notre galeries de photos personnelles. L'horizontalité reste cependant très peu exploitée dans le cadre d'affichage du texte.
John Meada n'a pas fait de Reactive book spécialement sur l'action de scroller. Il la considère cependant dans la neuvième interactivité de The Flying Letter, que nous avons vue dans la dernière partie sur la souris
. Dans celle-ci, le curseur qui écrit sans fin pousse l'écran vers le bas ou le haut.
Dans notre cas, nous examinerons plutôt le défilement comme un geste dédié à un périphérique. Nous serons dans une approche musculaire choisie par l'utilisateur et non dictée par l'ordinateur.
L'ARC RAS de l'ÉSAL a produit une interactivité avec le scroll que voici.
Ici le scroll avant ou arrière permet de zoomer le texte ou de l'inverser, c'est intéressant, puisque au lieu de l'interactivité classique du scroll qui fait défiler la page, comme nous le faisons depuis le début de cet écrit, ici c'est le contenu de la page qui change. Dans notre cas cela permet un controle assez fin de la taille lorsque l'on utilise un pavé tactile ou un écran tactile.
De manière plus classique comme pour les hyperliens, il est possible de créer des animations contrôlées au scroll par l'utilisateur qui viennent animer l'expérience de lecture dans la page. C'est ce que nous propose avec de nombreux exemples Manoela Ilic dans deux articles pour Codrops.
Dans ces nombreuses interactivités, on retrouve beaucoup de choses intéressantes, des textes qui viennent de tous les côtés, qui apparaissent en se pliant ou qui se jettent à nous depuis le fond ou le bord de l'écran. J'apprécie particulièrement les premières et dernières interactivités du deuxième lot d'animation qui, sur un long texte, apportent une force visuelle qui peut influencer le sens, comme nous allons le voir dans les exemples suivants.
Si plus d'exemples vous intéressent, je vous invite à lire les nombreux articles sur le scroll écrits par Manoela Ilic
Ici le texte prend la forme de vapeur, d'étoile filante, ou encore de demi-lune. Cela permet une expérience interactive et cohérente de lecture pour cet article sur l'espace.
Sur ce site pour une entreprise de B2B, j'apprécie particulièrement deux des interactivités. Pour commencer, la toute première sur le paragraphe qui présente l'agence, ici le scroll vient comme une réglette accompagner lettre à lettre la lecture. C'est une approche qui me plaît particulièrement dans le fait que là où d'habitude seuls les yeux travaillent dans le déplacement musculaire pour lire un texte, cette fois-ci, ils sont accompagnés des mains dans l'expérience de lecture.
La deuxième, c'est l'interactivité proposée juste avant la fin, avec le texte en perspective qui monte les marches et s'élève. L'utilisateur vient ici être l'activateur de l'image de la marque qui permet aux sociétés faisant appel à ses services de grandir.
Ce site pour une équipe de basket, fait également varier la manière habituelle de lire le texte. Au lieu que l'utilisateur aille au texte en défilant vers le bas, c'est le texte qui vient par paragraphe à lui et qui se cale en permanence en partie haute de l'écran, permettant une expérience de lecture plus rythmée mais confortable.
Le texte peut aussi venir à l'utilisateur par l'arrière comme avec ce spécimen de la Niko dessinée par l'allemand Ludwig Übele
Cette utilisation d'un scroll linéaire pour agir sur la profondeur est plutôt évidente, la molette ou le pavé tactile sont tous les deux le plus souvent à l'horizontal. Rentrer dans le texte est un effet de mise en abîme intéressant graphiquement, mais nous pourrions également utiliser des fenêtres qui se superposeraient les unes aux autres. Comme pour l'interactivité de l'ÉSAC en début de partie, ce qui m'intéresse le plus ici, c'est le fait de pouvoir agrandir la taille de la typographie avec un geste qui permet de la précision, plutôt que les habituels clics multiples sur des petits boutons pour zoomer plus ou moins.
Il est aussi possible de ne pas faire bouger l'emplacement du texte lors du scroll, mais qu'à la place ce soit le contenu, donc les lettres elles-mêmes, qui s'intervertissent en fonction de la position de l'utilisateur sur la page.
On retrouve, comme dans des exemples précédents, cette utilisation du caractère monospacé, en plus de cette esthétique hackeur
, qui permet des transitions sans que la position de chaque lettre ne bouge dans le mot.
Comme nous l'avons abordé plus tôt, le scroll est le résultat d'un lancer musculaire qui va ensuite influencer la vélocité à laquelle la page défile.
Ce défilement de Suzon Hauchard, motion designeuse, est trompeur, en effet on pourrait croire qu'il y a un lien entre son scroll et l'apparence du texte, mais en réalité elle ne scroll que une longue page préconfigurée et son action n'a pas d'autre impact que d'afficher le texte en dessous. Elle utilise en fait le scroll comme un moyen d'animer un mot qui tournerait.
Nous pouvons cependant utiliser cette vidéo pour imaginer une autre utilisation qui serait que la force donnée au mouvement pour scroller pourrait venir changer l'apparence du texte, en l'étirant plus ou moins, avant qu'il ne reprenne son aspect initial une fois que la vélocité retombe à zéro. On serait dans un cas similiaire de lancer de balle rebondissante qui serait impactée par la force mise dedans avant de revenir en forme
.
Pour finir sur le mouvement du texte, le scroll peut être utilisé comme pour cette œuvre du studio GROZNOV
Le scroll peut aussi influencer la typographie directement, comme avec la font variable Chee
gravityscroll using Chee, programme : Mandy Michael, typographie : James Edmondson, 2018
Dans cette interactivité, c'est la typographie qui descend et qui va venir s'aplatir au fond de l'eau. Cette typographie possède également une version avec des coulures
et nous pourrions imaginer que le scroll amène la lettre à s'étaler progressivement au fur et à mesure que l'on tire sur elle en défilant vers le bas. D'autres typographies possèdent des aspects dégoulinants plus marqués, comme la Truth dessinée par Vivienne Didier
.
Auriez-vous remarqué que ce site sur lequel vous lisé cet écrit propose également une interactivité au scroll en haut à gauche ? La typographie s'étire linéairement en fonction de votre progression de lecture.
Stylet & Écran tactile
Toucher l'écran, établir un contact physique direct avec lui, que ce soit avec le bout du doigt ou avec un stylet numérique, semble être l'apogée de l'écriture numérique. En réalité, cette technologie a été inventée au début de l'informatique moderne et ne fait pas l'unanimité. Les prémices de cette interactivité, nous les devons au Lightpen inventé par Ivan Sutherland et Tom Dimond dans les années 60 au MIT. Accompagné du Sketchpad, l'utilisateur pouvait ainsi créer et manipuler des figures graphiques au moyen d’un crayon.
De 1970 jusqu'en 2000, c'est l'explosion de l'utilisation du stylet avec les assistants personnels numériques ou PDA
, des agendas augmentés où le stylet ne servait que de dispositif de sélection. C'est à partir des années 2000 que les écrans capacitifs permettent une plus grande précision et sensibilité du stylet. Cela va rendre possible la captation de la vitesse, de l'inclinaison et de la force, ce qui va en faire un outil précieux pour les illustrateurs numériques et la prise de notes.
Le tactile quant à lui, a été inventé au début des années 1970, par E.A. Johnson en Angleterre et Sam Hurst aux États-Unis. Cependant, ce n'est également qu'au début des années 2000 que les écrans tactiles ont commencé à devenir populaires et largement utilisés, notamment grâce à des appareils comme l'iPhone d'Apple en 2007
, qui a introduit une interface révolutionnant le smartphone. Depuis lors, les écrans tactiles sont devenus omniprésents dans notre quotidien pour leur interactivité intuitive.
Il existe aujourd'hui de nombreuses façons d'utiliser un ordinateur tactile pour écrire, la plus répandue étant la prise de notes
.
Comme nous pouvons le voir, l'écriture manuscrite numérique sur ordinateur tactile offre une expérience familière avec l'écriture manuscrite sur papier, avec une tenue du stylet similaire à celle du crayon. Elle permet également une connexion directe avec le contenu grâce aux nombreuses personnalisations, et une sensation de contrôle dans l'ajout d'annotations et de croquis.
Cet écrit se concentrant majoritairement sur la typographie, j'éviterais volontairement de parler plus que ça du tracé de la lettre sur ordinateur tactile, puisque cela pourrait être un mémoire à part entière. Pensons notamment aux nombreux outils que les illustrateurs numériques ont à leur disposition, si l'on en faisait une analyse caligraphique
.
L'écran tactile a cependant bien d'autres utilisations que la prise de notes, comme le contrôle à plusieurs doigts. Le studio Schultzschultz propose à ce jour l'outil le plus performant de composition typographique tactile.
Ce projet est absolument formidable, avec un doigt, on place une lettre sur l'écran ; avec deux doigts, on peut l'agrandir ou la réduire en la pinçant ; avec trois doigts, on peut parcourir tout l'alphabet sur une roue ; avec quatre doigts, on peut modifier le squelette de la lettre sur plusieurs axes ; et avec cinq, on peut modifier la graisse.
En plus d'une immense capacité de personnalisation, ce logiciel est libre d'accès sur navigateur, ce qui le rend disponible sur de nombreux ordinateurs tactiles. Comme de nombreux autres outils du studio Schultzschultz, TouchType a été créé pour répondre à un projet client
. Il a ensuite été mis en ligne gratuitement, un système financier intéressant, qui existe également en création typographique. Ce fonctionnement permet de contribuer à un mouvement auquel on adhère pour le faire grandir, sans faire perdre d'argent à sa société en travaillant bénévolement.
Le studio Schultzschultz est également créateur d'autres outils utilisant un ordinateur tactile, en mettant toujours en valeur l'appui simultané à plusieurs doigts.
Dans les deux premiers exemples, nos deux doigts reliés par le programme forme un fil à beurre permettent d'étirer les lettres et ainsi de modifier l'aspect ou de rendre illisible le message.
Les deux derniers programmes sont quant à eux bien différents, ils utilisent la possibilité de capturer plusieurs doigts sur un écran pour tracer. L'un considère la typographie faite de ronds et de droites. Nous pouvons y placer un message puis venir avec un doigt le perturber. Cela donne une sensation de toucher plus forte qu'avec le curseur de la souris, mais c'est le même principe. L'autre programme considère la lettre faite de nombreux points. Avec un doigt, nous traçons le délié et avec deux doigts le plein. Ces deux programmes permettent bien sûr beaucoup plus que le traçage de lettres.
Avec le temps, les ordinateurs tactiles possèdent également de nouvelles fonctions pour augmenter les sensations de toucher, comme le retour haptique qui fait sentir une vibration à l'action, ce qui permet de créer une texture physique et de rendre plus réelle l'utilisation d'objets lisses. L’une de ses premières applications a été l’aviation. Les commandes d’un avion vibraient en même temps que les turbulences, ce qui permettait d'informer et d'alerter.
Cette technologie a notamment influencé Nick Mills
Nick Mills fait un lien entre les gestes de navigation courants sur ordinateur tactile : tapotement, double tapotement, balayages droits et courbés, pincement, dézoom, et le dessin typographique. Cette identité a été conçue grâce à une application, où chaque employé de l'entreprise est venu réaliser des lettres sur un écran dans une grille. Les informations ont ensuite été récupérées pour proposer tout un kit graphique. Chaque lettres est ainsi dessiné comme un mouvement gestuel avec un toucher puis un relâchement de l'écran. Par exemple, le 'S' s'anime à partir d'un double tapotement avec un balayage courbé reliant les points, tandis que le 'E' se forme à partir de trois gestes droits distincts.
L'idée est ici de proposer à cette entreprise une relation à leur identité qui n'est pas basée sur la vision mais sur le toucher. Bien que l'haptique soit une entrée pour la création de l'identité, je ne sais pas si le résultat est également haptique, si le logo animé vibre à l'endroit où les gestes commencent. Cela permettrait d'ouvrir cette technologie, si elle pouvait être aussi précise, à une utilisation pour les non-voyants et notamment un système de braille
Le stylet a lui le désavantage de ne pouvoir être capté par l'écran qu'en un point. Cela lui permet cependant d'augmenter le nombre d'informations captées en ce point : la pression, la vitesse et l'inclinaison.
Le placement des lettres sur une flaque d'eau est une habitude du studio Schultzschultz ; ici, le stylet permet une plus grande précision pour manipuler et déplacer les lettres sur l'écran.
Le deuxième programme, sur le 'J', quant à lui, semble n'enregistrer que l'inclinaison et modifier le dessin en fonction. S'il pouvait enregistrer la pression en plus, on pourrait imaginer des variations de graisse. Cela reste cependant très limité et bien qu'il existe, comme on l'a vu, de nombreux outils, l'écriture manuscrite au doigt ou au stylet sur ordinateur tactile semble rester la meilleure option pour permettre à chacun d'exprimer sa singularité.
Glide-typing
Le glide typing, également connu sous le nom de swipe typing, a été créé par Cliff Kushler et Randy Marsden, et a été popularisé par leur société Swype
Le glide-typing fonctionne sur un clavier virtuel où, plutôt que de taper sur chaque lettre individuellement, l'utilisateur fait glisser son doigt sur les lettres pour former des mots. Le système de reconnaissance de texte interprète les mouvements du doigt et prédit les mots possibles en fonction des lettres traversées
. Ce système est rendu possible par le logiciel T9
Cette nouvelle manière de taper, plutôt ingénieuse, ne change en rien l'aspect des lettres, mais elle capte de nombreux paramètres que les étudiants de l'INRIA, du CNRS et de LRI Paris-Saclay se sont appropriés.
Les étudiants-chercheurs Jessalyn Alvina, Joseph Malloch et Wendy Mackay ont travaillé sur un projet nommé Expressive Keyboard
L'Expressive Keyboard propose également d'utiliser d'autres entrées captées par le téléphone comme la vibration, pour afficher des mots qui seraient explosés en morceaux si nous étions dans un lieu tremblant comme le bus, ou à l'opposé, des mots qui seraient visuellement très stables et lisibles si nous étions au calme dans un fauteuil.
Il faut rappeler que ces chercheurs ne sont en rien graphistes et leur approche permet des résultats très visuels permettant de travailler mais qui ne sont pas complètement cohérents. L'utilisation de la couleur, par exemple, pour représenter diverses informations, n'est pas claire dans leur vidéo et n'a pas non plus été comprise par les utilisateurs comme l'écrivent les chercheurs dans leur étude.
Le projet a cependant été accompagné par des professionnels comme Nicolas Taffin quant à elle, a été dessinée par Olivier Nineuil
Je trouve personnellement l'approche autour d'une seule typographie avec de nombreuses variables et aux nombreuses déclinaisons dans la même ligne graphique bien plus intéressante que l'utilisation de diverses typographies au dessin très distinct. L'Inria font est en effet bien trop composite pour permettre de créer des variations personnalisées pour chaque micro-variation. La typographie a tendance à trop sauter d'un style à l'autre, ces styles étant en plus très clichés. Le projet reste cependant très intéressant mais ne semble pas avoir été repris par des industriels ayant les moyens.
Joystick
Le joystick, ou manche à balais en français, permet de se diriger sur l'axe droite-gauche et avant-arrière. Il a été inventé pour l'aviation par le britannique Alliott Verdon-Roe. On attribue l'invention du manche
aux Français Louis Blériot et Robert Esnault-Pelterie
Pour le jeu vidéo, le joystick est utilisé pour contrôler le mouvement d'un personnage ou d'un véhicule. Certains de ces joysticks sont également équipés de boutons ou de gâchettes supplémentaires pour effectuer des actions spécifiques, comme sauter ou tirer. Un deuxième modèle de joystick, dit analogique miniature, fait son apparition sur les manettes de jeux vidéo, d'abord mono-stick puis double à partir de 1997 pour la manette de la Playstation
qui deviendra par la suite une norme.
La manette moderne est accompagnée d'autres boutons pour augmenter les actions possibles à deux mains, que nous ne traiterons pas car ils sont de simples pressoirs.
Comme dans les dernières parties, le studio Schultzschultz a créé de nombreux programmes.
Dans ces expériences publiées sur leur Instagram, le studio nous propose des interactivités à la manette où les joysticks permettent de déplacer ou d'ajuster certains paramètres minutieusement. La position d'abord, puis la taille, l'anatomie de la lettre et la graisse. Cela est rendu possible grâce à l'utilisation de la même typographie que celle du logiciel TouchType où chaque lettre comporte différents axes de variation.
Ce qui est particulièrement intéressant, c'est encore une fois un logiciel très avancé qui permet des compositions complexes qui semblent faciles à réaliser à la manette. Le changement de l'anatomie de la lettre est cependant beaucoup plus complexe à gérer qu'il ne semble puisque les axes ne sont pas similaires sur chaque lettre et donc tous les boutons de la manette sont utilisés pour pallier à cela.
Il est aussi envisagé une approche du jeu, où la lettre saute et passe de plateforme en plateforme pour composer un mot. C'est un rapport intéressant à la ligne de base qui permet l'alignement des caractères.
Schultzschultz propose également des interactivités avec la lettre.
On comprend vraiment l'intérêt du double joystick pour permettre aux deux pouces d'agir dans 8 directions au total. Le premier exemple est captivant, le joystick de gauche modifie l'axe sur la largeur de la lettre à l'horizontale et sur sa hauteur à la verticale, avec ce changement spectaculaire du 'D' en 'P'. Celui de droite lui ne modifie que la graisse sur l'horizontalité.
Dans l'exemple suivant, le joystick de droite modifie la graisse dans la largeur et l'emplacement de la traverse dans la hauteur, mais cette fois-ci celui de gauche gère le sommet de la lettre et vient le tordre dans tous les sens. Ici je trouve que l'utilisation du joystick est réussie, la multiaxialité est mise en valeur par le déplacement horizontal et vertical, contrairement aux exemples précédents où l'horizontal et le vertical influençaient deux paramètres différents.
Dans le dernier exemple, un des joysticks est également utilisé pour un axe de variable et l'autre contrôle cette fois-ci une bulle externe qui modifie la lecture. Également multiaxiale, il est pertinent de penser à différents joysticks comme à différents paramètres à partager plutôt que de relier plusieurs fonctions au sein d'un seul. La bulle devient loupe et permet d'activer en son centre un effet de manière doux, car contrairement à la souris, le joystick se penche progressivement et nous nous déplaçons de manière moins saccadée.
Potentiomètre
Les potentiomètres sont des curseurs qui permettent de contrôler la résistance électrique dans un circuit
. En les ajustant, on peut changer la quantité de courant qui passe à travers, ce qui permet de régler minutieusement des paramètres comme le volume d'une auto-radio, la luminosité d'un spot lumineux ou la puissance d'un moteur électrique.
Cette technologie a été inventée par Johann Christian Poggendorff en 1841potentiel
et mètre
. Nous les trouvons aujourd'hui majoritairement sous deux formes, rotative et à glissière, deux utilisations qui ne sont pas du même registre de geste, précis ou ample.
Comme pour les dernières parties, nous analyserons encore des expérimentations du studio Schultzschultz.
Dans ce premier exemple, le programme utilise deux potentiomètres rotatifs. Le premier contrôle un cercle chromatique
pour la couleur du fond et du texte en opposition complémentaire, et en partie haute, il gère l'inclinaison du texte. L'utilisation des potentiomètres rotatifs est justifiée dans les deux cas. Le choix de la couleur sur ordinateur est le plus souvent associé à un carré
où nous venons chercher en fonction de la luminosité la couleur. Ici, la couleur a une luminosité fixe mais nous agissons sur l'espace chromatique pour en faire le tour. Une fois seulement, puisque le potentiomètre ne fait communément pas plus de 360°, mais nous pourrions faire appel à une roue pour être illimité dans la rotation.
L'autre potentiomètre qui contrôle le texte fonctionne différemment, avec une position neutre au milieu où le texte est à plat et une rotation vers la droite ou la gauche qui permet de pencher le texte. On remarque également que la typographie utilisée est particulière dans les deux cas. Dans le premier, seules les horizontales s'inclinent et les verticales restent droites, ce qui est plus lisible et correspond mieux à l'usage d'un potentiomètre qui se bloque et ne permettrait pas de faire des rotations complètes. Dans le deuxième cas, ce sont les verticales de la typographie qui bougent mais les horizontales restent fixées pour assurer là aussi lisibilité et stabilité.
Il est possible de complexifier la console de technicien et d'agir sur plus de paramètres, comme nous le propose Heike Neff
Pour ce programme, on retrouve l'utilisation d'un joystick qui sert à se déplacer sur une carte infinie et de nombreux potentiomètres à la fois rotatifs et à glissière, différents pour chaque utilisation. Les potentiomètres rotatifs métalliques permettent de contrôler le zoom et la rotation ; ils semblent tourner de manière infinie. Les glissières rouge, verte et bleue contrôlent les courbes de couleur des lettres, tandis que les potentiomètres rotatifs de couleurs contrôlent le fond. Il existe cependant un switch qui les intervertit.
Nous sommes là face à un outil performant que le studio voit comme une sorte d'attraction, mais l'on pourrait tout à fait analyser le scan d'un vieux livre avec et avoir la possibilité d'interagir de manière précise en gérant les contrastes et l'agrandissement du document.
Heike Neef a également fabriqué la TypeMachine
Ce projet immense, avec ses multiples potentiomètres annotés, permet d'agir sur tous les paramètres classiques d'un logiciel de typographie
. Sur la ligne du haut : à gauche, sélection de la lettre à l'aide de la grande roue, effacement et retour ; au milieu, hauteur, inclinaison, largeur, taille, interligne et contour ou plein ; à droite, alignement à gauche, au centre et à droite ainsi qu'en haut, au milieu et en bas. Sur la ligne du milieu : à gauche, sélection de nombreux styles et de leur intensité ; au centre, choix des couleurs et de la luminosité du texte et du fond ; à droite, activation d'effets de rotation et de flottement ainsi que gestion de l'intensité. Sur la ligne du bas, il existe d'autres potentiomètres un peu particuliers dont je ne comprends pas le sens mais qui pourraient être des options interactives en fonction de la lettre sélectionnée.
Ce projet sans pareil expose toutes les possibilités des potentiomètres qui peuvent être utilisés sur tous les réglages typographique classique. Nous sommes face à une régie de spectacle où la lettre sous toutes ses formes nous éblouit. Nous sommes à la fois spectateurs et utilisateurs, tout l'intérêt de l'interactivité.
Accéléromètre & gyroscope
L'accéléromètre et le gyroscope sont deux capteurs complexes utilisés dans de nombreux dispositifs électroniques pour mesurer la vitesse du mouvement et l'orientation de l'ordinateur. L'accéléromètre a été développé pour la première fois au début du 20e siècle pour la navigation aérienne et maritime
Les deux sont aujourd'hui présent sous la forme d'une seul micropuce semi-conducteur
Cette interactivité dans la poche permet de créer et diffuser plus facilement des posters interactifs.
Ce poster pour un festival de cinéma est conçu par Erich Brechbühl
D'autre specimens typographiques en ligne proposent aussi des interactivités sur l'orientation pour mettre en avant certains axes typographiques en lien.
Variableet modifiez vous-même les curseurs en mettant sur pauses les players
Nous sommes en présence de deux types d'inclinaison, une horizontale et l'autre verticale. La GT Planar est une typographie dessinée par Dominik Huber, la même chose s'applique aux terminaisons horizontal
. Cela permet à la typographie de rester lisbile même pencher à l'extrême, même dans une graisse importante, comme nous le prouve le specimen interactif où les verticales sont à 45°.
La Knickerbocker, ou pantalon bouffant en français, est elle une typographie dessinée par Daniel Wenzel pour sa fonderie 26A1®
Ces spécimens ne sont bien sûr pas les seuls à utiliser le gyroscope du téléphone pour mettre en avant l'aspect incliné de leurs typographies
. Dans un cas pratique, cette gyroscope pourrait permettre de compenser en temps réel certains angles de vue comme le fait de manière fixe la signalisation sur la chaussée
.
La typographie dans l'espace du quotidien étant un sujet riche, je m'y pencherai plus en détails dans le chapitre 2 L’écriture numérique affaire d’espace visuel
.
La vitesse d'un élément en mouvement peut également inspirer des dessinateurs comme Hyun-jeong Cho. Il s'agit d'une police de caractères variable avec comme axe une vitesse allant de 0 à 900 km/h. À mesure que la vitesse augmente, la police devient de plus en plus inclinée et texturée.
SPEED COMPARISON
De manière plus complexe, la WHOA, dessinée par Travis Kochel et Lizy Gershenzon, co-fondateurs de Future Fonts
La WHOA est à l'image de tous leurs projets, complexe et complet. Faite d'une répétition du contour de la lettre, elle dispose de 4 axes de variations qui sont le déplacement horizontal et vertical, ainsi que la rotation de la lettre jusqu'à 45° et l'agrandissement ou le rétrécissement. Cette typographie m'a tout de suite fait penser au ressort magique ou slinky en anglais
, de la même manière nous serions en train de tenir la base fixe de la lettre dans la main et l'autre partie serait en train de bondir et tomber dans toutes les sens et positions possibles.
Schultzschultz dispose aussi dans son catalogue d'expérimentations des interactivités qui utilisent la giroscopie d'un ordinateur.
Là où dans le premier exemple le programme s'emporte vite et fait voler le texte au moindre mouvement, le deuxième, plus maîtrisé, joue avec la matérialité et les limites de l'ordinateur. La lettre glisse sur la surface pour venir s'écraser contre les bords avant de reprendre sa forme initiale une fois à plat. Nous faisons l'expérience d'un fluide, d'une goutte d'eau sur du verre.
Kinect
La Kinect
a été développée par Microsoft et lancé en novembre 2010 pour la console de jeux Xbox 360
Ayant pour but de supprimer tout périphérique physique d'entrée, c'est le corps des utilisateurs qui permet d'interagir. Cela a ouvert la voie à de nouveaux types d'applications autres que les jeux de danse, comme la médecine, la recherche et l'éducation.
La Kinect permet également la reconnaissance vocale ainsi que le tracking facial, dont je parlerai dans des parties dédiées, en me concentrant ici plus largement sur le tracking du corps en mouvement.
Cette technologie a bien évidemment intéressé les programmeurs pour sa capacité à couper tout contact avec l'ordinateur. Cela permet de créer des œuvres de plus grande échelle où l'entièreté du corps est pris en compte.
Ces projets réalisés respectivement par le Rakuten Design Lab
Les deux utilisent la silhouette du corps comme entrée. Pour Unlimited Space, ce corps est représenté sur un écran en face de nous avec à droite et à gauche des miroirs pour rendre l'installation encore plus immersive. Tandis que pour In Order to Control, c'est l'utilisation de deux vidéoprojecteurs et un jeu surréaliste pour l'esprit où notre corps qui devrait normalement couper la lumière et cacher le texte, génère enfaite une ombre interactive.
Le sujet est également bien différent : le premier propose de relier le tracking de l'humain et les mots-clés extraits des tendances de recherche sur les services de Rakuten, afin de relier le monde réel et les achats sur internet. Une approche très terre à terre sans critique. La deuxième œuvre est elle, comme son nom l'indique, beaucoup plus politique : le texte défilant au sol propose une discussion sur l'éthique et la moralité.
Ces projets comportent cependant des caractéristiques graphiques singulières. Le projet de Rakuten est fait d'un nuage de mots, ce qui permet une plus grande personnalisation et plus de complexité. Celui du studio d'Istanbul propose une interactivité où le corps agit comme un masque pour une lecture moins linéaire mais peut-être plus amusante.
Comme vont nous le montrer les deux agences japonaises Anyhow
Ce projet interactif invite les spectateurs à toucher un écran flexible pour perturber différents éléments reprenant l'identité du festival. Cet écran n'est en fait qu'un leurre pour ajouter une sensation de toucher ; le mouvement est capté par une Kinect et le résultat est projeté par l'arrière.
Trois types d'interactivités sont utilisés : nous pouvons repousser les particules qui forment la lettre, placer des lettres, et pour finir, de manière plus étrange, nous pouvons tondre des lettres. Nous avons déjà abordé certains de ces concepts dans les parties précédentes, mais la capacité de tondre et de réduire la matérialité de la lettre est nouvelle. Cela permet en effet, de manière ingénieuse, de proposer une interactivité qui modifie l'aspect du texte sans le rendre illisible. Nous venons simplement le réduire puis il repousse, il s'installe ainsi une lutte active contre le programme.
Repousser et tondre se retrouvent dans d'autres projets d'artistes comme Danie’Lopes
Le premier projet reprend les aspects précédents de la tonte, cette fois-ci appliquée à l'identité d'un coiffeur, avec la possibilité également de seulement coiffer, en perturbant sans enlever. Ces petites interactivités légères invitent le passant dans la rue à prêter attention à l'enseigne.
Les deux projets suivants ont eux la capacité de repousser, soit le texte, soit la typographie. Le premier suit le corps en mouvement et perturbe complètement le texte, ce qui pousse le lecteur à s'arrêter et à prendre le temps pour lire. C'est une approche ingénieuse dans un monde où tout va de plus en plus vite, d'utiliser une technologie de mouvement pour inciter à la stabilité. Le deuxième programme suit lui le mouvement de n'importe quelle action devant lui pour cette fois pousser la typographie vers l'avant au lieu des côtés. Cela pourrait être encore plus intéressant si la distance du capteur était calculée pour plus ou moins déformer le message.
Dans le premier exemple, on remarque également que la captation peut se faire autrement que par tout le corps et suivre à la place un membre précis, comme la main, et nous allons voir que nous pouvons aller encore plus en détails.
Le premier projet, réalisé en 2012 par Tom Smurthwaite
La main devient un pinceau dans l'espace tridimensionnel, un sujet dont nous parlerons dans la prochaine et dernière partie de ce chapitre sur le geste.
Les deux autres projets sont eux plus particuliers, ce n'est plus la main que l'on suit mais les doigts. Rajshree Saraf
Le très gros projet Typannot, mené par une équipe interdisciplinaire réunissant linguistes, dessinateurs de caractères, designeurs graphiques et développeurs, pousse bien plus loin la possibilité de tracker les doigts, en proposant un logiciel de reconnaissance de langue des signes.
L'outil, qui prendrait la forme d'un clavier augmenté, offrirait un ensemble d'outils innovants pour faciliter l'analyse et la transcription des langues des signes, en prenant en compte à la fois les aspects linguistiques et corporels de ces langues. Pour cela, il utiliserait une typographie spécialement conçue, qui traduirait gestes et expressions faciales du locuteur.
Il existe aussi un panel de typographies qui prennent en compte le mouvement dans leur dessin mais qui ne proposent pas de dispositif connecté. La plus connue étant la Movement dessinée par María Ramos et Noel Pretorius pour leur fonderie NW type
Variableet modifiez vous-même les curseurs
Créé en collaboration avec le danseur Andile Vellem
Bien que la typographie soit un dessin assez rectiligne, on peut sentir une réciprocité sincère avec la danse. Certains gestes similaires mais plus lourds vont par exemple inspirer le gras. Il est également amusant de voir le danseur trouver des moyens de contourner les restrictions de l'écriture latine, comme sa solution du bassin pour le chiffre '5'.
D'autres approches du mouvement en typographie existent, comme avec CHOREO, dessiné par Dan Luo
L'Instant de Jérôme Knebusch
Variableet modifiez vous-même le curseur
Contrôleur de réalité virtuelle
Le terme réalité virtuelle renvoie à une technologie informatique qui simule la présence physique d'un utilisateur dans un environnement artificiellement généré. Accompagné d'un dispositif immersif, le plus souvent un casque
, l'utilisateur peut explorer et parfois interagir avec cet environnement.
Le principe de réalité alternative et simulée est ancien. Il a inspiré des ouvrages philosophiques comme le Discours de la méthodemalin génie
. Ainsi que de nombreux films et est devenu un pan à part entière de la science-fiction.
D'un point de vue technique, l'apparition de dispositifs de réalité virtuelle remonte aux années 1950 avec le prototype de Morton Heilig appelé Sensorama. Il dessinera par la suite le premier casque de réalité virtuelle comme on le connais aujourd'hui
.
Avec les avancées de la micro-informatique, en 1966, Thomas A. Furness III introduit la technologie de la réalité virtuelle au sein de l'Armée de l'air, qui se voit désormais dotée d'un simulateur de vol. À partir des années 1970, plusieurs centres de recherche développent la technologie pour la rendre interactive et sa popularisation se fait dans un premier temps dans les jeux vidéo pour devenir ensuite un dispositif grand public dans plusieurs domaines comme la médecine, l'éducation, l'art, la modélisation et le divertissement.
Ce dispositif a amené la création d'un nouveau système de manettes
. Composé de joysticks, elles permettent de se déplacer et agissent également comme un dispositif de pointage et de sélection. Ces manettes rendent aussi possible la saisie d'objets, avec des boutons aux pouces et aux 4 autres doigts. Ce sont des périphériques qui captent l'intégralité des mouvements de la main et qui agissent comme une réelle extension numérique
.
Une des premières applications dans le domaine des arts plastiques fut la peinture numérique en trois dimensions qui permet d'utiliser des pinceaux et crayons artificiels pour peindre et calligraphier sans surface. Prenant place dans des environnements virtuels, les artistes peuvent créer des peintures sur les plans XYZ et les impacter par des effets de lumière et de matière. La peinture 3D ouvre également de nouvelles possibilités en termes d'exploration de l'œuvre d'art. Les spectateurs peuvent souvent traverser les peintures sous différents angles, créant une expérience artistique immersive.
Dans la partie Stylet et Écran tactile
, j'ai expliqué pourquoi nous ne traitions pas l'aspect calligraphique numérique. Je fais ici une exception pour la calligraphie 3D étant une pratique relativement récente. Cela me permet par ailleurs de clôturer ce chapitre sur les gestes et d'introduire le prochain sur l'espace.
Pour traiter de la calligraphie numérique, j'ai sélectionné deux œuvres : l'ouverture de la convention Paris-2023 de l'Association Typographique Internationale
Sur une musique composée en direct, les calligraphes Brody Neuenschwander
L'interactivité est ici évidente de bien des manières, la première c'est le déplacement dans un espace de réalité virtuelle que nous traiterons plus tard, la deuxième par le biais d'une manette, ils sont en capacité de dessiner dans un espace de vide réel mais de plein de numérique avec des pleins et des déliés correspondant à la vitesse et l'inclinaison, et la troisième c'est l'interactivité commune entre utilisateur. En effet, nous n'en avons jusqu'ici pas parlé, mais les outils numériques permettent un partage plus rapide des données et rendent possible le travail collaboratif
Le travail du calligraphe japonais, quant à lui, présente d'autres types d'interactivité avec le logiciel. Il est en effet capable de peindre puis de récupérer l'élément peint pour le dupliquer à une autre position. Il va même, à la fin du travail, réarranger l'ensemble comme un bouquet de fleurs pour s'arranger de son esthétique de plusieurs points de vue.
La calligraphie semble être l'approche la plus évidente, mais nous pouvons également avoir un regard de dessinateur de typographie sur ces logiciels de dessin comme nous le démontre Félix Farjas
Dans le cadre de la création de l’identité de la 13e édition du Printemps de la Typographie, Félix Farjas produit dans une approche bien différente, lettre par lettre du mot. Il travaille les contrastes de la lettre en venant repasser plusieurs fois, pour donner l'épaisseur voulue à sa forme. Une action commune aux dessinateurs de caractère qui s'attardent sur la lettre, à l'inverse de la calligraphie où le trait est rarement réarrangé.
Ce concept de famille de lettres est encore plus visible dans ses essais
.
On remarque que cette approche du tracé de la lettre tridimensionnelle est assez loin de l'écriture sur papier et ressemble bien plus au lightpainting
, un rapprochement que développe Félix Farjas dans son mémoire Écrire sans surface
Le modélage en réalité virtuelle permettrait également de créer des caractères typographiques cette fois-ci non pas dessinés par le pinceau numérique, mais par le contour comme sculpté
. Je n'ai cependant pas trouvé d'exemple de personne le faisant, mais nous aurions une expérience similaire à celle de la création d'autres objets de design.
En voyant cette vidéo, je m'imagine déjà en train de dessiner des empattements typographiques dans un monde immergé, en soignant chaque angle comme le fait Nicholas Baker avec les surpiqûres de son fauteuil.
Les contrôleurs de manette VR agissant comme l'extension des mains, nous pouvons aussi, comme avec la souris, venir troubler le texte et modifier sa disposition
.
C'est ce que propose l'expérience Bernie créée par Rajshree Saraf
Les utilisateurs sont amenés à venir pousser le texte et taper dedans pour créer des sons. Cela provoque différents mouvements typographiques : le bloc de texte tombe sur son dos ou s'envole dans les airs, la lettre tourne sur elle-même en fonction de la force mise dans le geste, la phrase est presque immobile car trop lourde à pousser.
Dans cet exemple, le texte est déjà placé, nous pouvons seulement le déranger. Il existe cependant des manières beaucoup plus complexes de composer et positionner du texte dans l'espace virtuel. Cela est encore plus impressionnant si c'est en réalité mixte et si les contrôleurs disparaissent au profit de la détection de nos mains.
C'est ce que propose depuis 2015 Dong Yoon ParkL’écriture numérique affaire d’espace visuel
.
II.2 – L’écriture numérique affaire d’espace visuel
Comment la typographie peut-elle s’adapter à l’espace qui lui est dû dans l’écran ou dans la réalité virtuelle ? Comment peut-elle se modifier en fonction du point de vue ou de la distance de l’utilisateur ?
II.3 – L’écriture numérique affaire de son
Comment la typographie peut-elle réagir au son ? Comment peut-elle s’adapter à la hauteur de la voix et à son volume ?
II.4 – L’écriture numérique affaire de temps
Comment la typographie peut-elle s’altérer avec le temps ? Comment peut-elle représenter l’heure qui passe et les minutes qui défilent ?
II.5 – L’écriture numérique affaire de signes vitaux
Comment la typographie peut-elle représenter notre état de santé ? Comment capter nos émotions par le biais de la reconnaissance faciale ? Comment faire comprendre par le texte que quelque chose est en vie ?
II.6 – L’écriture numérique affaire d’environnement
Comment la typographie peut-elle changer en fonction des saisons, de la température et de la météo ? Comment notre emplacement dans le monde défini par le GPS modifie-t-il l’affichage du texte ? Comment la pièce dans laquelle on se trouve, par sa luminosité, change-t-elle notre expérience de lecture ? Comment la gravité affecte-t-elle les lettres ?
Edit sampleet modifiez vous-même le curseur
II.7 – L’écriture numérique affaire d’hasard
Comment la typographie peut-elle être modifiée par l’aléatoire ? Comment cet hasard qui nous touche tous peut-il être capté ?
Conclusion
Enfin… Nous pouvons soufler un bon coup… (sur le texte)
L’écriture numérique est en réalité augmentée par les nouvelles technologies. L’acte d’écrire ne se résume pas au sens du texte, mais à un processus bien plus complexe où l’actionnement du corps par la pensée permet d’inscrire un message. Ce corps sensible, grâce aux nombreux périphériques connectables à l’ordinateur, peut être capté et retranscrit de bien des manières. La démocratisation de certains périphériques et logiciel comme la dictée vocal et la réalité mixte, et l’invention de nouveaux permettront dans le futur de gérer d’autres interactions avec l’écrit. Notre part d’humanité continuera ainsi de grandir dans le numérique en pleine expansion. Nous sommes à la transition d’une nouvelle ère où nos actions fonderont les standards de demain comme l’invention de la souris et du clavier l’on était au siècle dernier.
C’est aussi le cas de pour la typographie, les formats continuent d’évoluer, nous avons depuis 2022. Cette recherche permettra également une plus grande accessibilité et compensera peut-être à terme certains handicaps.
Il faut cependant nuancer ce progrès par l’aspect écologique de l’interactivité qui nécessite des ordinateurs calculant de manière parfois très coûteuse en ressources. Il faut pour moi, comme le faisait John Maeda dans les années 90, rester dans des programmes simples et peu coûteux où l’interactivité ingénieuse et fluide sera utilisable par le plus grand nombre.
Parallèlement, il est crucial de prendre en compte l’impact potentiel des nombreux périphériques biométriques dans notre quotidien qui amène à du tracking de vie privée au nom de la sécurité. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre l’innovation technologique et la protection des droits fondamentaux des individus.
Ces enjeux, je les aborde moi-même dans mon travail en poussant encore plus loin la relation entre le code et la typographie. Les deux se répondent, s’augmentent et se contraignent, avec des projets qui relient dictée vocale et typographie
, qui proposent au passant du mapping interactif et gravitationnel
, qui questionnent l’expérience de lecture en réalité virtuelle
, qui mettent en scène l’appauvrissement sentimental dans le numérique
.
Pour finir, nous pouvons remarquer que parmi tous les exemples traités dans cet écrit, une majorité sont conçue par des femmes, une tendance rare dans les métiers de l’informatique
Devenir l’artiste
Y’a pas de pédagogie, y’a que des pédagogues.
Pour commencer le code créatif, rien de tel que de monter à bord du Coding Train animé par Daniel Shiffman. À travers de courtes vidéos d’une dizaine de minutes, ce passionné nous guide de façon pédagogique et visuelle à travers les fondamentaux et les possibilités de la programmation.
Pour commencer à dessiner vos premières typographies, je vous conseille une approche modulaire
. Vous découvrirez ainsi comment fonctionne la structure d’une lettre en combinant un nombre restreint de formes.
Il existe de nombreux logiciels pour dessiner des caractères, mais ils sont bien souvent trop difficiles à prendre en main. C’est pourquoi je vous conseille l’extension Illustrator Fontself, qui pour 40€, ou 25€ si vous êtes étudiant, donne accès à vie à un logiciel très facile à utiliser.
Pour combiner code et typographie, je vous conseille en plus des nombreux ouvrages dans la bibliographie, la documentation Google, qui est à ce jour la plus complète.
À vous de jouer !
Remerciements
Merci à Keyvane Alinaghi de m’avoir donné le goût du code et du partage libre.
Merci aux Rencontres internationales de Lure de m’avoir accueilli les bras ouverts.
Merci à Yvain et Antonin ainsi que Erwan et Antoine pour les conseils et les relectures.
Merci à vous de m’avoir lu. Je vous invite à m’envoyer d’autres interactivités à que je joindrai à cet écrit pour qu’il devienne un jour un index.
Pour accéder à mon travail, retrouvons nous sur mon site gabintraverse.art.
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